Interview d’Alfred de Zayas, Genève
thk. La situation mondiale actuelle montre très clairement qu’il faut engager les plus grands efforts pour préserver les générations futures du «fléau de la guerre» comme le déclare le préambule de la Charte des Nations Unies. Le professeur de Zayas, est «expert indépendant des Nations Unies pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable». Au cours de l’interview qui suit, il se prononce sur son mandat, mais également sur des questions brûlantes de la politique internationale.
Horizons et débats: A l’issue de la session de printemps, diverses résolutions ont été adoptées au Conseil des droits de l’homme. L’une d’elles concernait votre mandat au sein de l’ONU. Etes-vous satisfait du résultat?
Alfred de Zayas: La résolution sur mon mandat pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable n’a pas été adoptée à l’unanimité mais à une très grande majorité et ainsi les Résolutions 18/6 et 21/9 antérieures ont été confirmées et renforcées. Il va de soi que ce n’est pas satisfaisant qu’il y ait des Etats restant sceptiques sur ce sujet si fondamental pour les buts et principes des Nations Unies. Ce mandat est universel, il représente une synthèse des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Dans mes rapports adressés à l’Assemblée générale et au Conseil des droits de l’homme, j’ai montré cette convergence et entamé les diverses tâches qui en résultent. Je ne dirais pas résolu ces tâches, car la thématique est beaucoup trop complexe et ambitieuse. Mais j’ai identifié les défis et formulé des propositions pragmatiques et concrètes à l’adresse de l’Assemblée générale et du Conseil des droits de l’homme. Je travaille déjà à mon rapport de cette année pour le Conseil des droits de l’homme dans lequel je présente la nécessité du désarmement comme condition préalable à l’installation d’un ordre international pacifique, démocratique et équitable.
Comment faut-il comprendre le fait qu’il y a des pays qui ne soutiennent pas les efforts de paix exprimés dans votre mandat?
Il n’y a pas de consensus concernant mon mandat, tout comme il n’y a pas de consensus concernant le mandat de la solidarité internationale ou les résolutions du droit à la paix. Une des raisons est l’influence des lobbys de l’armement dans un certain nombre de pays qui tiennent absolument à maintenir la guerre et le désordre pour pouvoir continuer à faire des affaires et à réaliser des profits. Ils veulent produire des drones, des avions, des sous-marins, des mines antipersonnels etc. Ils veulent des conflits permanents pour que les armes soient utilisées et qu’ils puissent constamment en reproduire et en revendre. Ce n’est cependant pas ainsi qu’on instaure un ordre mondial plus pacifique, plus démocratique et plus équitable, tout au contraire, on instaure un ordre défini par l’agression, la peur, la terreur et l’instabilité. Espérons qu’il sera peu à peu possible de persuader les Etats sceptiques que mon mandat apporte une «valeur ajoutée» c’est-à-dire qu’il amène des avantages pour tous. Les Etats occidentaux veulent plus de démocratie, plus de liberté de la presse, plus de liberté pour manifester et s’organiser. Voilà ce qui est promu par mon mandat et mes rapports.
D’un autre côté, on voudrait un ordre mondial plus équitable. Cela revient à dire qu’il faut arrêter d’exploiter les pays pauvres, qu’il faut partager les richesses du monde de façon plus juste, qu’il faut stopper toutes spéculations des marchés portant sur les récoltes et les ressources naturelles. Il faut également aider les pays pauvres car ils ont un droit au développement. Il faut promouvoir ce droit, ce qui n’est possible qu’en se réorientant; il faut désarmer pour libérer les moyens nécessaires à favoriser la paix et les droits de l’homme – non pas l’espionnage, l’agitation belliciste, les interventions et les guerres. Mon mandat est le mandat de réconciliation en soi. Il fait du bien au Nord et au Sud, à l’Ouest et à l’Est.
Quel pourrait être un pas vers plus de paix et de justice?
Les Etats doivent diminuer radicalement leurs dépenses militaires. Pour cela, ces dépenses doivent être rendues transparentes et il faut consulter le peuple à ce sujet. Depuis le 11 septembre 2001, aux Etats-Unis, (et pas seulement dans ce pays), on dépense d’énormes sommes pour l’armement et des soi-disant mesures de sécurité nationale, mais personne ne connaît exactement, ni le montant des sommes, ni de quelle manière elles sont utilisées. Il y a des «black budgets» et des «slush funds». Je signale que lundi 14 avril, on observe la Journée d'action mondiale sur les dépenses militiares (Global Day of Action on Military Spending). Avant Eduard Snowden, personne ne savait que le gouvernement américain espionnait aussi les citoyens américains; nous ne savions pas que l’argent du contribuable était utilisé pour des activités d’espionnage au niveau mondial. La NSA emploie environ 35 000 collaborateurs à cette tâche. Il n’y a aucun processus démocratique. Il aurait fallu en informer la population avant que ces activités commencent. Dans toute démocratie, il existe une obligation d’information positive de la part du gouvernement. La population doit avoir la possibilité de décider des finalités auxquelles est destinée la dépense de son argent. Il faut en débattre publiquement, si l’on désire surveiller le courrier électronique privé de presque chaque citoyen. C’était une mesure arbitraire prise par le gouvernement, ce qui viole la Constitution américaine et est illégal et illégitime. La prétendue guerre contre le terrorisme ne peut être utilisée pour bafouer les droits humains et pour détruire la sphère de la vie privée des gens. De cette manière, on a violé l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. D’ailleurs, nous voulons également savoir quelles armes nous nous procurons et quelle en est l’utilisation. Le peuple doit avoir voix au chapitre, comme c’est le cas en Suisse. Si l’on avait tenu, aux Etats-Unis, un référendum sur les activités de la NSA, 80% de la population l’auraient rejeté. Jamais la population n’aurait accepté de dépenser de telles sommes prises de l’argent du contribuable pour de l’espionnage au lieu de les attribuer aux écoles ou les hôpitaux.
Ne dépense-t-on pas également d’énormes sommes pour l’Alliance militaire de l’Atlantique nord?
Beaucoup trop et sans justification. Au fond, l’OTAN devrait servir exclusivement à la défense et non pas à l’agression ou à l’ingérence dans les affaires internes d’autres Etats. Les pays membres ont des engagements au sein de l’OTAN et l’OTAN attend que tout pays membre engage de grosses sommes d’argent dans son armement. Au début, c’était une alliance défensive. Elle a été créée, après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de la guerre froide comme rempart contre une éventuelle expansion du communisme vers l’Ouest. Mais au plus tard dès 1990/91, l’ancienne menace que représentait l’Union soviétique a disparu. Le Pacte de Varsovie est dissous et on aurait pu s’attendre à la dissolution de l’OTAN. Mais elle n’a pas été dissoute, elle a été élargie. Les dépenses militaires de l’OTAN continuent à grimper et les pays membres sont soumis à de fortes pressions politiques pour consacrer une part plus élevée de leur budget aux dépenses militaires. Si la dissolution de l’OTAN n’avait pas été souhaitée afin de pouvoir la transformer en «troupes de la paix», dans le sens défini par les objectifs des Nations Unies, on aurait pu ainsi inviter d’autres membres des Nations Unies, par exemple la Biélorussie ou la Russie, à adhérer à l’OTAN, des Etats susceptibles de se sentir menacés par l’OTAN. De cette façon, l’Alliance serait plus compatible avec l’ONU et ne serait pas ressentie comme un danger par les Etats non-membres. On doit poser la question si l’existence et le comportement de l’OTAN ne constitue pas une «menace contre la paix» dans le sens de l’article 39 de la Charte des Nations Unies.
L’OTAN est-elle encore une alliance défensive?
En réalité, c’est différent. Depuis la guerre contre la Serbie en 1999, l’OTAN mène également des guerres d’agression, soit en tant qu’alliance ou sous forme d’une «coalition de volontaires» (Coalition of the Willing)comme en 2003 contre l’Irak, une guerre qui a été désignée par M. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, et divers spécialistes du droit international comme étant contraire à la Charte des Nations Unies et au droit international. La guerre contre la Libye a également été menée principalement par l’OTAN. Tous ces milliards dépensés pour l’OTAN et ses guerres auraient pu être attribués pour le respect du droit au développement. On aurait pu aider de multiples manières les pays pauvres par le transfert technique, la formation et le développement des infrastructures. On aurait pu atteindre les objectifs de développement du Millenium (Millennium Development Goals) longtemps avant 2015. Le droit au développement pourrait, à l’avenir, nous apporter beaucoup d’aspects positifs. Pour pouvoir récolter des fruits – dans le sens de la paix, de la justice et de la solidarité internationale –, nous devons changer nos priorités et engager toutes nos forces et nos ressources en faveur de la paix dans le monde.
Pourquoi ne le fait-on pas?
Parce que le complexe militaro-industriel n’en veut pas. L’industrie de l’armement n’a qu’une chose en tête, ce sont les profits en permanence. C’est pourquoi on gaspille l’argent du contribuable pour le développement et la production d’armes, mais aussi pour leur démantèlement. Quant je pense aux anciennes armes nucléaires, elles représentent des coûts et des risques énormes. Dans mon rapport à l’Assemblée générale, j’ai souligné cette problématique que Mikhaïl Gorbatchev avait déjà abordée: la problématique d’une guerre nucléaire qui ne se déclenche pas suite à une menace concrète, mais tout simplement suite à une erreur humaine ou technique, électronique ou informatique, ne laissant pas assez de temps aux hommes politiques de reconnaître s’il s’agit d’une «fausse alerte» ou d’une réelle attaque avant que la réaction soit déclenchée. De tels dangers doivent être bannis une fois pour toute afin de protéger l’humanité.
Dans quelle mesure, le désarmement est-il un devoir au niveau du droit international?
L’article 26 de la Charte des Nations Unies prévoit le désarmement. En outre, l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques l’article 2 du Pacte relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels stipulent que tous les Etats membres doivent réaliser tous les droits humains mentionnés dans ces pactes, ce qui inclut nécessairement les devoirs de désarmer et d’empêcher les guerres, car on ne peut garantir le droit à la vie autrement. Dans ce sens, on a créé la Conférence de l’ONU sur le désarmement et à UNIDIR (Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement) afin de définir les modalités pour remplir au mieux ces devoirs de désarmement.
N’y a-t-il pas de contradiction avec le droit de l’autodéfense?
Non, en aucun cas. Bien entendu toute agression est déja interdite par l’article 2, alinéa 4 de la Charte. C’est l’affaire des Nations Unies et du Conseil de sécurité d’empêcher les agressions et de punir les agresseurs. Il va de soi que tout Etat possède le droit à l’autodéfense, tel que cela est défini dans l’article 51 de la Charte. Chaque Etat doit protéger ses citoyens d’agressions et de menaces venant de l’extérieur. C’est légitime et cela fait partie des fonctions fondamentales de tout Etat. Mais il n’y a pas de droit à la «guerre préventive», uniquement un droit à la défense, en cas d’agression – et là seulement jusqu’à ce que le Conseil de sécurité prend responsabilité sur l’affaire. Naturellement, la défense et la préparation à la défense ne sont pas gratuites, mais cela ne veut pas dire qu’il faille dépenser d’autres milliards pour des armes nucléaires qu’il faut constamment renouveler. Nous avons actuellement déjà la capacité de détruire la planète plusieurs fois, c’est l’«Overkill», c’est un gaspillage énorme des ressources financières. De telles dépenses astronomiques doivent être discutées en toute transparence. Il faut mettre sur la table tous les faits.
Mais en mettant les faits sur la table, on n’a pas encore banni l’utilisation de ces armes.
C’est vrai. La population doit, comme c’est le cas ici en Suisse, voter et demander des comptes aux hommes politiques s’ils gaspillent de façon désinvolte l’argent du contribuable. Ce n’est qu’ainsi qu’on arrivera à davantage de paix et de justice.
Ce serait, évidemment, un pas très important.
Le problème de ces soi-disant démocraties «modernes», soumises à des groupes d’influence, est que ces groupes non élus au pouvoir, notamment le complexe militaro-industriel, exercent une influence directe sur les sénateurs et les membres du Congrès. On prend alors des décisions au Congrès, qui n’ont jamais été discutées avec la population et sans tenir compte de son avis. Il faut absolument changer cela, si nous aspirons à un ordre mondial démocratique et équitable.
Le droit des peuples à l’autodétermination n’en fait t-il pas partie?
L’ordre mondial se base à la fois sur la souveraineté des Etats et sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. L’autodétermination est un droit, qui est reconnu par la plupart des professeurs de droit international public comme jus cogens, c’est-à-dire comme droit international impératif et contraignant. L’Article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que l’article 1 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels considère le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme un des droits fondamentaux de l’ordre mondial.
Y a-t-il de l’opposition à ce sujet?
Comme dans la vie normale, il existe aussi dans le droit international des droits et des intérêts concurrents. Pour la stabilité de l’ordre mondial, nous voulons des frontières étatiques stables. Nous voulons garantir à l’aide de la diplomatie et de négociations un ordre mondial stable, qui respecte les frontières des Etats. Si dans un Etat il y a un chaos ou l’anarchie, la stabilité est détruite. C’est alors qu’on déploie souvent de multiples efforts pour modifier les frontières. L’exemple classique est un pays avec des groupes de population qui se sentent opprimés, discriminés ou mal représentés. Ceux-ci espèrent souvent obtenir davantage d’autonomie ou le droit de se séparer et d'être indépendants.
Pourriez-vous nous citer un exemple historique concret?
Considérons la situation de la Yougoslavie dans les années 1991/95. C’était une nation implosée parce que la population de Slovénie, de Bosnie et Herzégovine, de Croatie, de Macédoine, du Monténégro et finalement également du Kosovo aspiraient à l’indépendance. Jusque là, le droit international prévoyait l’autodétermination dans le cadre de la décolonisation en Afrique et en Asie, mais pas concernant les aspirations sécessionnistes au sein d’Etats européens.
Alors, il s’agissait à cette époque d’un nouveau développement?
Oui, en quelque sorte. Le droit international est dynamique, c’est un système juridique vivant. Lors d’évolutions, comme par exemple l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, lorsque les 15 diverses Républiques se sont déclarées indépendantes, cela allait certainement de pair avec le principe de l’autodétermination. L’intégrité territoriale de l’Union soviétique a été terminée par la secession de ses Républiques. Ainsi, en Yougoslavie, les Slovènes, les Croates et les Bosniaques ont réussi à se séparer de l’ancienne Yougoslavie, et cela a détruit bien sûr l’intégrité territoriale du pays, tout en correspondant au droit à l’autodétermination. Dans le droit international moderne, lors d’intérêts concurrents, l’intégrité territoriale versus l’autodétermination, on donne souvent la priorité au droit humain à disposer de lui-même.
Comment doit-on juger cette étape au niveau du droit international?
L’intégrité territoriale ne doit pas être préservée à tout prix. Ce n’est pas quelque chose d’irrévocable ou pour l’éternité. Cependant, un changement doit avoir lieu à l’aide de moyens pacifiques et de négociations.
Si nous transposons cela à la situation de l’Ukraine, qu’est-ce que cela signifie?
Dans ce cas, nous avions un gouvernement élu démocratiquement qui a été menacé par des manifestants violents et qui a finalement été renversé par un coup d’Etat. Le gouvernement ukrainien avait le droit de résoudre cette situation, d’abord de façon interne, de manière pacifique et à l’aide de négociations. Cela a en partie eu lieu. Le gouvernement Ianoukovitch s’est montré prêt à négocier avec les manifestants, qui agissaient en partie de manière très violente, tout en ayant obtenu du soutien de l’étranger. Malheureusement, plusieurs Etats se sont massivement mêlés de l’affaire, ce qui a enfreint plusieurs principes du droit international.
A quoi pensez-vous en disant cela?
L’entretien enregistré de la vice-ministre américaine Victoria Nuland avec l’ambassadeur américain en Ukraine illustre de manière éloquente une «culture de l’ingérence» dans les affaires intérieures d’autres Etats. Si les autres Etats avaient respecté le droit de l’Ukraine à l’autodétermination et avaient laissé les Ukrainiens négocier seuls, le tout aurait probablement évolué différemment.
Le gouvernement Ianoukovitch était-il prêt à faire un compromis?
Le 21 février, les ministres des Affaires étrangères français, polonais et allemand se sont rencontrés avec Ianoukovitch et les représentants des insurgés, de l’opposition. Là, on s’est mis d’accord sur une feuille de route commune. Elle était raisonnable et prévoyait de nouvelles élections avancées et une transition graduelle. L’accord aurait du être respecté par toutes les parties selon l’Article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. En premier lieu par les Etats qui se sont engagés, tels l’Allemagne, la Pologne et la France, mais aussi par Ianoukovitch et l’opposition.
Qui a rompu le traité?
L’opposition ukrainienne. Le Président Ianoukovitch a dû fuir le pays parce que sa vie était en danger. C’était un réel coup d’Etat, un putsch. Cela n’a aucune légitimité. Il est regrettable que cet accord du 21 février, conforme au droit international, n’ait été ni protégé ni mis en pratique par les Etats signataires. Au lieu de se baser sur la mise en œuvre de l’accord et de soutenir le Président légitime, les Etats occidentaux ont reconnu l’opposition, qui venait de rompre l’accord. C’est une situation absolument anormale qui représente un grave précédent d’interventionnisme dans les affaires internes d’un Etat indépendant.
Qu’est-ce que cela signifie pour un pays, quand un Président élu démocratiquement est renversé?
Il est clair que certaines parties de la population de l’Ukraine sont en soucis. En particulier ceux qui possédaient déjà une certaine autonomie dans le pays et, comme dans le cas de la Crimée, également un Parlement à eux. Les gens se sont demandés, comment cela allait continuer. Les représentants de la population en Crimée ont décidé, que dans cette situation, où la population russe de la région était menacée par les nouvelles forces au pouvoir, leur propre sécurité figurait au premier rang. Ils ne voulaient pas coopérer avec les putschistes et se sont déclarés indépendants.
Etait-ce une situation similaire au Kosovo?
Là, il y a eu uniquement une déclaration d’indépendance par le Parlement du Kosovo. Selon la Cour internationale de justice, cette déclaration du Parlement kosovar du 17 février 2008, était conforme au droit international.
La population a-t-elle pu s’exprimer au Kosovo?
Au Kosovo, il n’y a pas eu de plébiscite, mais une déclaration d’indépendance par le Parlement, qui a été tout de suite reconnue par les Etats-Unis et une série d’Etats européens. Entre-temps ce sont 108 Etats qui ont reconnu le Kosovo. Cependant cela n’est en aucune façon conforme à la résolution 1244 du Conseil de sécurité, qui considère le Kosovo comme une partie de l’ancienne Yougoslavie, c’est-à-dire de la Serbie et qui garantit les frontières de ce pays. L’intégrité nationale de la Serbie a été violée – et le monde l’a accepté.
Comment cela a-t-il pu se passer?
On a donné la priorité au droit à l’autodétermination et l’a placé au-dessus de l’intégrité territoriale de la Serbie. Cela a des conséquences automatiques et contraignantes pour le droit international. Le fait que cela ait été possible sans référendum au Kosovo, uniquement sur la base d’une décision parlementaire, de se séparer d’un Etat souverain, signifie que c’est également possible dans d’autres régions du monde. De ce fait, le principe de l’intégrité territoriale des Etats n’est pas un absolu.
Comment cela s’est-il passé en Crimée?
Selon les informations existantes, la décision du Parlement a été prise librement, sans pression militaire de l’extérieur. Le plébiscite s’est déroulé de manière pacifique avec une grande participation. Plus de 80% sont allés voter et 96% se sont prononcés en faveur de l’indépendance de la Crimée respectivement pour sa réinsertion dans la Russie. Dans cette situation, en se basant sur le précédent du Kosovo, on doit dire que cela a une plus grande légitimité démocratique, parce que la population a été consultée. Bien sûr, il y a des experts en droit international qui disent que c’est illégitime, parce qu’ils n’aiment pas la Russie ou parce qu’ils n’aiment pas la personne de Poutine. Mais la plupart des spécialistes en la matière approuvera la conformité avec le droit international.
Mais ici, vous êtes en contradiction avec votre Président?
C’est gênant quand on doit créer des faits parce qu’en réalité ils n’existent pas. A Bruxelles, le président des Etats-Unis a affirmé, que le procédé au Kosovo était légal et que celui en Crimée était illégal et qu’au Kosovo un référendum reconnu par la communauté internationale avait eu lieu. Nous savons tous qu’il n’y a pas eu de référendum au Kosovo. Néanmoins, on a crée des faits accomplis. Je ne pense pas qu’on puisse encore changer la situation au Kosovo. Je dis seulement qu’au Kosovo, on a produit un précédent qui aura des conséquences. Ce n’est pas seulement important pour la Crimée, mais également pour l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie, la Transnistrie, le Haut-Karabakh. Il est difficile de s’imaginer que l’on puisse revenir en arrière. Ce serait une menace pour la paix internationale contraire à l’article 39 de la Charte de l’ONU et serait en même temps antidémocratique et contre la volonté des populations concernées.
Dans quelle mesure d’autres populations sont-elles touchées?
Par exemple, les populations en Corse, en Catalogne, les Kurdes, les Tamouls, les Ibos du Biafra (Nigéria), les Moluques, les Papous de l’Ouest, les autochthones polynésiens de Rapa Nui (Iles de Pâques) et divers autres groupes populaires, qui aspirent à l’indépendance.
Que faut-il faire dans cette situation?
Ma proposition est de négocier, de discuter selon la Charte de l’ONU et de retrouver des possibilités d’une vie commune paisible. Cela peut être réalisé à condition qu’on travaille de bonne foi et qu’on veuille réellement trouver une solution pacifique. N’oublions pas que tous les Etats membres de l’ONU se sont engagés selon l’article 2, alinéa 3 de la Charte à régler «leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger». Il existe donc une obligation à négocier, ce qui est également sensé pour la situation générale de l’Ukraine.
Cela veut dire qu’il faut un dialogue sincère?
Oui, le dialogue franc et sincère. Il ne faut pas vouloir forcer un autre Etat, au moyen de menaces ou de sanctions unilatérales, à faire quelque chose qu’il ne veut pas et que la population du pays concerné ne veut pas non plus. Je suis optimiste que la situation va se calmer, je ne crois pas que les Etats baltes sont en danger. Je vois plutôt un danger dans l’incitation à la guerre, soutenue par de nombreux médias. Cette incitation à la guerre signifie une menace de la paix dans le sens de l’article 39 de la Charte de l’ONU.
L’incitation à la guerre n’est-elle pas en contradiction avec le droit international?
Bien sûr. Elle représente une violation de l’article 20 du Pacte relatif aux droits civils et politiques. L’article 20 interdit l’incitation à la guerre et à la propagande en faveur de la guerre. Il est regrettable qu’actuellement de nombreux médias pratiquent cela et jouent les oiseaux de mauvais augure. Ils sèment la panique en éveillant l’impression que la Russie se prépare à attaquer les Etats baltes et à occuper toute l’Ukraine ou d’autres pays encore. On diabolise le gouvernement russe et la personne de Poutine bien que celui-ci ait proposé à maintes reprises une conférence internationale en exigeant le dialogue. Suite à la Charte de l’ONU, nous sommes contraints à résoudre tous les différends par des moyens pacifiques. C’est aussi l’objectif de mon mandat: parvenir à davantage de paix et de justice grâce à un dialogue franc et sincère. Il n’existe pas d’autres voies, l’histoire l’a largement prouvé.
Je veux espérer que dans les années à venir, s’installera un consensus au sujet de mon mandat et que les sceptiques seront finalement convaincus qu’un ordre mondial pacifique, démocratique et équitable est possible.
Monsieur de Zayas, merci beaucoup de cet entretien sincère. •
(Interview réalisée par Thomas Kaiser)
Cet entretien correspond à l’opinion personnelle du Professeur de Zayas et n’a pas été mené en sa fonction de rapporteur spécial.
Voir aussi
www.alfreddezayas.com et
http://dezayasalfred.wordpress.com/