Le nouveau gouvernement grec s'aligne sur la Russie de Poutine
par Olivier Perrin
Alexis Tsipras, juste avant la première réunion de son cabinet. (Louisa Gouliamaki/AFP)
Contre les sanctions de l’UE en Russie, contre le gouvernement ukrainien, contre l’austérité, contre l’Allemagne: Alexis Tsipras n’a pas tardé à démontrer la continuité idéologique de Syriza. Un nouvel axe se dessine: Athènes-Moscou
Cela n’a pas échappé au quotidien économique russe Kommersant: le nouveau premier ministre grec, Alexis Tsipras, a, dès avant la victoire de Syriza, annoncé qu’il était favorable à un allégement des sanctions et contre la politique d’isolement de la Russie. Et dans «les premières escarmouches» entre la nouvelle Grèce et l’Union européenne racontées dans Le Temps ce jeudi matin, un aspect géostratégique frappe: l’axe Athènes-Moscou qui est en train de se dessiner sur la carte des alliances. Ce que la Neue Zürcher Zeitung résume dans la formule: «Le cheval de Troie de Poutine».
Résumons. A peine installé, le gouvernement de Syriza passe l’acte: il récuse les nouvelles sanctions contre la Russie réclamées par Bruxelles après la reprise de violentes hostilités dans l’est de l’Ukraine. Pendant ce temps, Nikos Kotzias, le ministre des Affaires étrangères, transfuge du Parti communiste grec, défend des relations bilatérales plus étroites avec Moscou. Il aurait déjà remercié Poutine de s’être porté «au secours de nos frères orthodoxes» en Crimée.
Dans la revue de presse de France Inter, on lit que la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui titrait clairement mercredi «Nach Moskau! Nach Moskau!», s’en inquiète, en évoquant «la joie du Kremlin depuis dimanche». Et toujours en Allemagne, Bild enchaîne avec «Die Russen-Connection der Griechen-Radikalos»: «A peine 90 minutes après son investiture […], Tsipras rencontre qui? L’ambassadeur russe en Grèce»:
Le journal Kathimerini, qui a fait le tour de quelques réactions russes, semble indiquer assez clairement qu’à Moscou la presse juge que la Grèce «vient de donner une vraie leçon de démocratie au reste de l’Union européenne».
Puis, dans le Guardian, une «tribune d’une violence inouïe» vient à la rescousse de cette Grèce de Syriza que «l’Allemagne cherche à étrangler dès sa naissance». Pour le quotidien britannique, Angela Merkel est «le dirigeant politique le plus monstrueux de notre génération», «qui tyrannise le reste de l’Europe». Le texte va jusqu’à se référer au Dictateur de Charlie Chaplin, avec ses «hommes robots», ses «esprits robots» et ses «cœurs de robots». Plus étonnant encore, le gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney, occupe la une du Times de Londres, en se disant résolument «contre cette obstination allemande en matière d’austérité qui empêche la croissance partout en Europe».
Le site RéseauInternational évoque d’ailleurs des gestes hautement symboliques. Après avoir déclaré que «nous ne devons ni accepter ni reconnaître le gouvernement des néonazis en Ukraine», Tsipras a choisi de se rendre au champ de tir de Kaisariani pour rendre hommage aux 200 militants politiques grecs qui y ont été exécutés par les nazis le 1er mai 1944. «Des centaines de partisans, dont beaucoup étaient en larmes, l’ont regardé s’approcher du site.» Et les commentateurs grecs n’ont pu s’empêcher d’y voir «un nouveau «allez vous faire voir» à l’adresse des Allemands»:
Et l’on ne parle même pas encore de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances de Tsipras, que Courrier international trouve «rebelle, grandiloquent, iconoclaste». Il préfère «le t-shirt et le jean au costume-cravate» et c’est lui qui va aller renégocier la dette grecque à Bruxelles. «Bien différent de ses prédécesseurs, aux dires du Financial Times, l’homme […] s’est fait connaître pour les textes d’opinion sur la crise financière» qu’il publie régulièrement sur son blog, yanisvaroufakis.eu , où il se proclame «marxiste imprévisible», dit France Info dans le très bon petit portrait qu’elle brosse de lui.
Cela, entre autres, lui a «fait gagner des milliers d’abonnés» sur Twitter (@yanisvaroufakis) . Et il faut préciser, loin de l’anecdote, que «Varoufakis est adepte de la théorie des jeux, stratégie qui consiste à anticiper les réactions de son adversaire. Appliquée très sérieusement en économie, cette théorie permet de modéliser des hypothèses avant de prendre les bonnes décisions. Cela lui sera certainement d’un grand secours dans les prochains mois.» Et ça rappelle la stratégie des grands joueurs d’échecs russes.
Une «frontière malsaine»
Alors, un allié solide à Moscou? Le site Breizh Info l’explique très bien en indiquant «qu’interrogé par l’édition en ligne du journal Rossijskaya Gazeta peu avant les élections […], Kostas Sirixos, directeur du département des affaires étrangères au sein de Syriza, précisait ainsi les orientations principales de la politique étrangère de la Grèce en cas de victoire: un de nos objectifs «est de travailler avec nos alliés politiques européens pour contrecarrer l’influence géopolitique et économique que l’Allemagne essaie d’imposer aux pays d’Europe du Sud-Est et aux Balkans.»
La radio La Voix de la Russie renchérit: «Cette manie de vouloir conserver à tout prix une frontière malsaine, rigide et j’oserais employer ce terme désuet d’impérialiste entre un Nord-créditeurs et un Sud-débiteurs devant sempiternellement se serrer la ceinture perdra un jour l’Allemagne. […] La Grèce étant le berceau de notre civilisation, on ne saurait s’attendre à ce qu’elle obtempère plus longtemps aux desiderata d’une Europe à deux vitesses dans laquelle une poignée d’ethnies élues s’arroge le droit d’imposer aux périphéries un mode de fonctionnement parasitaire.» Le politicien Panagiotis Lafazanis, sur Mediapart, ne dit d’ailleurs pas autre chose.
Contre l’euro-atlantisme
Interrogé par L’Agefi, Yorgos Tsipras, coordinateur du département de politique étrangère de Syriza et cousin germain d’Alexis Tsipras, est encore plus direct: «Nous sommes à l’épicentre de deux zones conflictuelles: au nord, il y a l’Ukraine et au sud-est la Syrie. On veut davantage de relations avec la Russie, qui doivent s’inscrire dans une politique multidimensionnelle. On ne veut plus d’une politique d’alignement euro-atlantique. Les sanctions contre la Russie ont fait perdre beaucoup d’argent à la Grèce qui n’y a rien gagné.»
«La Russie est un grand pays ayant du potentiel, une histoire et une immense expérience. Y compris pour sortir des crises. L’Europe est impensable sans une Russie qui y occuperait une place appropriée», disait Tsipras à la presse russe lue par RIA Novosti il y a quelques jours. Le magazine hebdomadaire Ogoniok a notamment rebondi sur un article du Spiegel allemand, en demandant au premier ministre: «Pourquoi êtes-vous plus dangereux pour l’UE que, par exemple, le Front national, les Vrais Finlandais ou la Ligue du Nord italienne?»
Les nationalistes, «faux ennemis»
Réponse d’Athènes: «Parce que Der Spiegel a tout compris. Les partis nationalistes sont de faux ennemis du système en place. Ils sont précisément un produit de la politique libérale de l’Europe, même s’ils menacent aujourd’hui de la détruire. Le parti (profasciste) grec Aube dorée est passé de 0,3 à 7% pendant les années de politique d’austérité. Contrairement aux partis de ce genre, nous ne proposons pas de quitter l’Europe ou la zone euro.» Mais Tsipras fustige «ceux qui ont imposé à l’Europe un modèle antidémocratique et antiéconomique. Quoi qu’en disent les 28 pays membres de l’UE, c’est la fameuse «troïka» (CE, BCE, FMI) qui prend des décisions et agit dans l’intérêt des banques, et non du développement économique dans l’ensemble.»
«Ce qui a été fait avec la Grèce devrait même entrer dans les manuels d’économie en tant que contre-exemple», ajoute-t-il. C’est peu dire que le débat est lancé, et qu’il s’annonce musclé ces prochains mois.
Résumons. A peine installé, le gouvernement de Syriza passe l’acte: il récuse les nouvelles sanctions contre la Russie réclamées par Bruxelles après la reprise de violentes hostilités dans l’est de l’Ukraine. Pendant ce temps, Nikos Kotzias, le ministre des Affaires étrangères, transfuge du Parti communiste grec, défend des relations bilatérales plus étroites avec Moscou. Il aurait déjà remercié Poutine de s’être porté «au secours de nos frères orthodoxes» en Crimée.
Dans la revue de presse de France Inter, on lit que la Frankfurter Allgemeine Zeitung, qui titrait clairement mercredi «Nach Moskau! Nach Moskau!», s’en inquiète, en évoquant «la joie du Kremlin depuis dimanche». Et toujours en Allemagne, Bild enchaîne avec «Die Russen-Connection der Griechen-Radikalos»: «A peine 90 minutes après son investiture […], Tsipras rencontre qui? L’ambassadeur russe en Grèce»:
Le journal Kathimerini, qui a fait le tour de quelques réactions russes, semble indiquer assez clairement qu’à Moscou la presse juge que la Grèce «vient de donner une vraie leçon de démocratie au reste de l’Union européenne».
Puis, dans le Guardian, une «tribune d’une violence inouïe» vient à la rescousse de cette Grèce de Syriza que «l’Allemagne cherche à étrangler dès sa naissance». Pour le quotidien britannique, Angela Merkel est «le dirigeant politique le plus monstrueux de notre génération», «qui tyrannise le reste de l’Europe». Le texte va jusqu’à se référer au Dictateur de Charlie Chaplin, avec ses «hommes robots», ses «esprits robots» et ses «cœurs de robots». Plus étonnant encore, le gouverneur de la banque d’Angleterre, Mark Carney, occupe la une du Times de Londres, en se disant résolument «contre cette obstination allemande en matière d’austérité qui empêche la croissance partout en Europe».
Le site RéseauInternational évoque d’ailleurs des gestes hautement symboliques. Après avoir déclaré que «nous ne devons ni accepter ni reconnaître le gouvernement des néonazis en Ukraine», Tsipras a choisi de se rendre au champ de tir de Kaisariani pour rendre hommage aux 200 militants politiques grecs qui y ont été exécutés par les nazis le 1er mai 1944. «Des centaines de partisans, dont beaucoup étaient en larmes, l’ont regardé s’approcher du site.» Et les commentateurs grecs n’ont pu s’empêcher d’y voir «un nouveau «allez vous faire voir» à l’adresse des Allemands»:
Et l’on ne parle même pas encore de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances de Tsipras, que Courrier international trouve «rebelle, grandiloquent, iconoclaste». Il préfère «le t-shirt et le jean au costume-cravate» et c’est lui qui va aller renégocier la dette grecque à Bruxelles. «Bien différent de ses prédécesseurs, aux dires du Financial Times, l’homme […] s’est fait connaître pour les textes d’opinion sur la crise financière» qu’il publie régulièrement sur son blog, yanisvaroufakis.eu , où il se proclame «marxiste imprévisible», dit France Info dans le très bon petit portrait qu’elle brosse de lui.
Cela, entre autres, lui a «fait gagner des milliers d’abonnés» sur Twitter (@yanisvaroufakis) . Et il faut préciser, loin de l’anecdote, que «Varoufakis est adepte de la théorie des jeux, stratégie qui consiste à anticiper les réactions de son adversaire. Appliquée très sérieusement en économie, cette théorie permet de modéliser des hypothèses avant de prendre les bonnes décisions. Cela lui sera certainement d’un grand secours dans les prochains mois.» Et ça rappelle la stratégie des grands joueurs d’échecs russes.
Une «frontière malsaine»
Alors, un allié solide à Moscou? Le site Breizh Info l’explique très bien en indiquant «qu’interrogé par l’édition en ligne du journal Rossijskaya Gazeta peu avant les élections […], Kostas Sirixos, directeur du département des affaires étrangères au sein de Syriza, précisait ainsi les orientations principales de la politique étrangère de la Grèce en cas de victoire: un de nos objectifs «est de travailler avec nos alliés politiques européens pour contrecarrer l’influence géopolitique et économique que l’Allemagne essaie d’imposer aux pays d’Europe du Sud-Est et aux Balkans.»
La radio La Voix de la Russie renchérit: «Cette manie de vouloir conserver à tout prix une frontière malsaine, rigide et j’oserais employer ce terme désuet d’impérialiste entre un Nord-créditeurs et un Sud-débiteurs devant sempiternellement se serrer la ceinture perdra un jour l’Allemagne. […] La Grèce étant le berceau de notre civilisation, on ne saurait s’attendre à ce qu’elle obtempère plus longtemps aux desiderata d’une Europe à deux vitesses dans laquelle une poignée d’ethnies élues s’arroge le droit d’imposer aux périphéries un mode de fonctionnement parasitaire.» Le politicien Panagiotis Lafazanis, sur Mediapart, ne dit d’ailleurs pas autre chose.
Contre l’euro-atlantisme
Interrogé par L’Agefi, Yorgos Tsipras, coordinateur du département de politique étrangère de Syriza et cousin germain d’Alexis Tsipras, est encore plus direct: «Nous sommes à l’épicentre de deux zones conflictuelles: au nord, il y a l’Ukraine et au sud-est la Syrie. On veut davantage de relations avec la Russie, qui doivent s’inscrire dans une politique multidimensionnelle. On ne veut plus d’une politique d’alignement euro-atlantique. Les sanctions contre la Russie ont fait perdre beaucoup d’argent à la Grèce qui n’y a rien gagné.»
«La Russie est un grand pays ayant du potentiel, une histoire et une immense expérience. Y compris pour sortir des crises. L’Europe est impensable sans une Russie qui y occuperait une place appropriée», disait Tsipras à la presse russe lue par RIA Novosti il y a quelques jours. Le magazine hebdomadaire Ogoniok a notamment rebondi sur un article du Spiegel allemand, en demandant au premier ministre: «Pourquoi êtes-vous plus dangereux pour l’UE que, par exemple, le Front national, les Vrais Finlandais ou la Ligue du Nord italienne?»
Les nationalistes, «faux ennemis»
Réponse d’Athènes: «Parce que Der Spiegel a tout compris. Les partis nationalistes sont de faux ennemis du système en place. Ils sont précisément un produit de la politique libérale de l’Europe, même s’ils menacent aujourd’hui de la détruire. Le parti (profasciste) grec Aube dorée est passé de 0,3 à 7% pendant les années de politique d’austérité. Contrairement aux partis de ce genre, nous ne proposons pas de quitter l’Europe ou la zone euro.» Mais Tsipras fustige «ceux qui ont imposé à l’Europe un modèle antidémocratique et antiéconomique. Quoi qu’en disent les 28 pays membres de l’UE, c’est la fameuse «troïka» (CE, BCE, FMI) qui prend des décisions et agit dans l’intérêt des banques, et non du développement économique dans l’ensemble.»
«Ce qui a été fait avec la Grèce devrait même entrer dans les manuels d’économie en tant que contre-exemple», ajoute-t-il. C’est peu dire que le débat est lancé, et qu’il s’annonce musclé ces prochains mois.
En complément l'analyse de Michel Juvet, analyste chez Bordier & Cie
L'Opinion de Michel Juvet : Elections grecques : guerre froide en perspective ?
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