"Le ciblage systématique et à large échelle d'une population en raison de sa croyance s'appelle un 'génocide'." Bahar Kimyongür (historien turquo-syrien-belge)
A l'appel de la Confédération de l'Union des alévis d'Europe, des citoyens turcs et européens manifesteront à Bruxelles ce jeudi 21 février à 13h à la place du Luxembourg pour protester contre les massacres que subissent les alaouites de Syrie dans l'indifférence générale de la communauté internationale.
Depuis près de trois ans, des groupes djihadistes sèment la terreur en Syrie.
Ces groupes sont soigneusement présentés comme des "rebelles" par les médias occidentaux et ce, sans même s'interroger sur les méthodes barbares ni sur leur projet de société tout aussi inhumain.
Les populations qui ne partagent pas les idées de ces djihadistes sont humiliées et martyrisées. Si les victimes des terroristes sont issues de toutes les communautés ethniques, religieuses et confessionnelles du pays, les alaouites sont les seuls qui n'ont aucune chance de survie une fois capturés. Les alaouites sont en effet torturés, décapités, dépecés, fusillés. Leurs femmes et leurs filles sont emportées comme butins de guerre.
Cette politique d'extermination est un rêve millénaire aussi ancien que l'apparition de cette confrérie religieuse syrienne. Au XIVe siècle, ce rêve a été codifié par un juriste de l'école religieuse hanbalite dénommé Ibn Taymiyya dans une fatwa qui dit: "verser le sang des alaouites est agréable à Allah". La plupart des groupes armés aujourd'hui actifs en Syrie vénèrent Ibn Taymiyya et appliquent sa fatwa anti-alaouite à la lettre.
De nos jours, le ciblage systématique et à large échelle d'une population en raison de sa croyance s'appelle un "génocide".
En novembre 2012, le directeur exécutif du Centre mondial pour la responsabilité de protéger Simon Adams avait prévenu que le prochain génocide dans le monde serait celui des alaouites. Ce génocide est en marche mais nul ne semble s'en préoccuper.
Les alaouites eux-mêmes refusent de parler du génocide dont ils sont victimes par peur de se différencier de l'Islam majoritaire et de contribuer ainsi à la polarisation confessionnelle dans leur pays où trois ans de propagande djihadiste a endommagé le fragile équilibre communautaire. Ils préfèrent souffrir en silence et s'identifier au drapeau syrien, à la nation syrienne, à la laïcité syrienne et à la citoyenneté syrienne.
Les alaouites pratiquent une telle autocensure par souci d'unité que depuis la fondation de la République arabe syrienne en 1946, officiellement, ils n'existent même pas. A la télévision, le mot "alaouite" n'est jamais cité. Quand les alaouites sont décimés au seul motif qu'ils sont alaouites lors d'une attaque des groupes takfiri, les médias syriens évoquent timidement un "massacre à caractère confessionnel".
En revanche, les alévis de Turquie, une communauté de 15 millions d'habitants discriminée par le gouvernement Erdogan, ne craignent pas de s'affirmer, de marquer leur différence par rapport à l'Islam sunnite majoritaire et de revendiquer leur droits religieux et culturels. Malgré leurs différences théologiques, une même souffrance unit aujourd'hui alévis et alaouites, deux communautés confessionnelles influencées par la mystique chiite.
Comme les alaouites, les alévis de Turquie ont subi plusieurs pogromes et massacres de la part de l'extrême droite et des djihadistes turcs : Malatya en avril 1978, Kahramanmaras en décembre 1978, Corum en mai 1980, Sivas en juillet 1993 et Gazi à Istanbul en 1995. Dans les milieux conservateurs proches du gouvernement d'Erdogan, les alévis sont considérés comme des êtres impurs et détestables.
Ils subissent des discriminations dans tous les secteurs de la société: dans les écoles, à l'armée, dans la police, dans la rue. Surtout, les alévis considèrent l'appui logistique offert par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan aux groupes génocidaires actifs en Syrie comme un crime visant directement leur propre communauté. Ce soutien de l'Etat turc au terrorisme en Syrie ravive le spectre des pogromes anti-alévis des décennies précédentes.
Mais ce jeudi, les alévis d'Europe se rassemblent à Bruxelles pour protester en particulier contre l'extermination des habitants alaouites du village de Maan à Hama en Syrie perpétré le 9 février dernier.
Les alévis de Turquie et d'Europe sont d'autant plus en colère que les auteurs de ce massacre utilisent le territoire turc comme base-arrière. Quant aux armes utilisées par les djihadistes syriens, elles sont convoyées par camions entiers.
Ces camions sont escortés par les services de renseignement de la MIT et camouflés en cargaisons d'aide humanitaire sous le label de l'organisation caritative IHH dont plusieurs administrateurs sont poursuivis en raison de leurs liens avec Al Qaïda. Le cabinet du Premier ministre turc coordonne la contrebande d'armes vers les groupes terroristes en Syrie. Cette implication des plus hautes autorités de l'Etat dans le trafic d'armes vers la Syrie a été reconnue à demi-mot par Ahmet Davutoglu.
En se rassemblant devant le Parlement européen, les alévis de Turquie ne demandent aucune intervention étrangère. Bien au contraire.
Ils exigent juste que la Turquie, la France, les Etats-Unis, le Qatar et l'Arabie saoudite cessent de soutenir les djihadistes en Syrie, des djihadistes qui, au moindre signal, pourraient commettre des massacres en territoire turc.
Bahar Kimyongür
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